Je ne la connaissais pas. Mon frère me dit seulement qu'elle était belle, grande et blonde : c'est ainsi que je la reconnus au premier coup d'œil, bien qu'il fît nuit.
Une péniche, en effet, remontait le fleuve, tous feux éteints, avec un bruit de soie froissée. Comme à son habitude, elle se tenait à la proue, les bras croisés. Elle, c'était la fille d'Oscar, le batelier... Je ne l'avais jamais vue, et je crus avoir face à moi un spectre sorti tout droit des royaumes célestes.
Je fus vite ramené à la réalité par la voix caverneuse d'Oscar : "Alors, gamin ! Cette écluse, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?"
C'est pour cette raison que je me surpris à guetter à chaque heure du jour et de la nuit un nouveau passage de cet onirique cortège.
Ma patience et ma ténacité furent récompensées quelques mois plus tard, par une froide soirée automnale.
Comme la première fois, elle se tenait à l'avant du chaland ; mais son regard de braise croisa le mien. Et, sans être vue du déjà vieux marinier, elle me lança un simple billet que je m'empressai de déplier.
Il était libellé comme suit : "Si tu désires garder un souvenir impérissable de moi, rendez-vous au numéro cinq de la rue du Canal, appartement 8, dans la soirée du neuf."
Le coeur empli d'excitation, je me rendis donc au jour fixé dans cette vieille masure de la rue du Canal avec l'espoir fou de l'y retrouver.
Mais, à peine entré dans le studio, je sus qu'elle ne viendrait pas : au pied d'un énorme crucifix reposait une modeste photo d'elle, accompagnée d'une rose blanche...