mercredi 26 juin 2013

L'IMPOSTEUR




          Cher Monsieur le Grand Reporter,


      C'est avec le plus grand des plaisirs que j'ai appris, comme de nombreux Français, que l'on vous avait décerné le Prix Pulitzer.

       Cela fait maintenant plusieurs années que je lis vos articles, que s'arrachent les plus grands quotidiens et magazines de la planète, sans pour autant être capable de mettre un visage sur votre nom. Vos aventures ont fait trembler d'émotion tous vos lecteurs depuis tant d'années, mais ce n'est qu'il y a trois mois que je vous ai reconnu lorsque l'on a montré votre photo au journal télévisé pour saluer votre distinction.

       Cela fait en effet plus de trente ans que je vous croise régulièrement dans notre quartier. Figurez-vous que, par le plus grand des hasards, j'habite l'immeuble qui se trouve juste en face du vôtre, et je crois que vous commencez à comprendre où je veux en venir.

        Comment pouvez-vous expliquer qu'une personne censée passer plus de neuf mois sur douze à l'étranger se promène dans son appartement du septième arrondissement quasiment tous les soirs ? Bref, comme il semble que je sois la seule personne au courant de cette imposture (s'il y en avait d'autres, elles se seraient sans nul doute manifestées à vos confrères), je pense que nous pourrions facilement trouver un arrangement assez honnête. Que diriez-vous de m'adresser par retour du courrier un chèque équivalent à la moitié de votre prix ?


                                                                                     Au plaisir de vous lire,

                                                                                     Votre voisin attentionné


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         Cher Monsieur le Maître Chanteur,


       C'est avec le plus grand des plaisirs que j'accuse bonne réception de votre courrier.

       Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter : vous êtes la seule personne à m'avoir reconnu, les gens se regardant si peu, préférant la compagnie de leur petit écran. Vous êtes aussi le seul, aussi incroyable soit-il, à avoir découvert mon petit secret : je dois bien avouer que je n'ai jamais mis les pieds plus loin que Menton, et que tous mes articles ont été sous-traités à des journalistes coréens ou vietnamiens.

       Vous serez peut-être surpris de voir que le chèque que j'ai libellé à votre nom soit non pas de la moitié mais de l'intégralité du Prix Pulitzer.

       Figurez-vous que je reste avant tout un journaliste de formation et un amateur de photographies d'art, et que, par le plus grand des hasards, cela fait aussi plusieurs années que je vous observe à votre insu. Personnellement, votre attirance pour les jeunes garçons, âgés entre huit et douze ans pour la plupart, ne me dérange que moralement, mais vous comprendrez aisément que la justice de notre pays ne vous ferait pas de cadeaux si ces clichés devaient lui parvenir...

         Je vous propose donc que vous me renvoyiez par retour du courrier le chèque que je vous ai adressé sans l'endosser, et que nous reprenions chacun nos petites activités en toute tranquillité.


                                                                                     Bien à vous,

                                                                                     Votre voisin dévoué



Publié dans le numéro 31 de "La Bafouille incontinente" (octobre 2013)

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