Ah, je les vois déjà, tous ces
cinglés qui voudront suivre mes pas ou diffuser ma parole par-delà les mers et
les monts, dans des pays dont je ne connais même pas le nom...
Non, mais, regardez-les donc par
la fenêtre ; ils sont là, quelques centaines, quelques milliers peut-être, à
s'être amassés en espérant un signe de ma part... Même pas moyen de crever en
paix !
Certains voudront écrire ma vie,
d'autres penseront que visiter tous les lieux que j'ai visités les rendront plus
sages ou plus humains... Ils sont tellement fous qu'ils voudront sans doute
bâtir des cités, des cathédrales ou que sais-je d'autre non loin d'un
quelconque arbre contre lequel j'aurais uriné il y a plus de vingt ans, en
voyant cela comme un signe du ciel...
J'ai tout fait pour les chasser ;
je leur ai crié les pires insanités, je leur ai craché à la figure, je les ai
menacés avec une hache, je leur ai dit que s'ils continuaient ainsi, les
foudres du ciel s'abattraient sur eux... Rien n'y fit, ils devinrent même de
plus en plus nombreux à vouloir me pister comme un vulgaire gibier. J'ai alors
fait semblant de ne plus ni les voir ni les entendre... Il fallait les voir se
prosterner devant moi comme devant un fantôme, entrer en transe quand je leur
adressais un simple sourire...
"Les chemins qui mènent à
Dieu sont différents pour chacun d'entre nous...", voilà l'épitaphe que je
voudrais voir gravée dans le marbre, en priant pour qu'ils ne viennent
pas fleurir ma tombe pendant quinze mille ans...