mardi 16 mars 2010

HÉRODIADE dans le désert





HÉRODIADE dans le désert


            On voyait dans le ciel de bien sombres oiseaux.
            Le soleil dardait ses rayons sur ces corbeaux.
            À perte de vue, des dunes, un désert…
            Ils semblaient attirés par un arbre non vert,
5          Au pied duquel devait gésir un maladif
            Animal émettant dernier souffle plaintif
            Qui constituerait pour ces noirs charognards,
            Cette ténébreuse nuée de criards,
            Une inespérée source de nourriture.
10        Le nuage ondoyait, supplice de nature,
            Et attendait l’heure de fondre sur la proie.
            Un cavalier suivait la scène avec effroi
            Depuis quelques instants sans, pour autant, pouvoir
            Distinguer l’objet de leur attention notoire.
15        Le mauvais augure de cette singulière
            Rencontre l’eut certes écarté de l’altière
            Plaine sauvage si un pauvre volatile
            Ne se fût distingué en plongeant vers le vil
            Cadavre et, d’un coup de bec, déchirant la joue.
20        La douleur réveilla le corps, image floue,
            Et lui fit pousser un épouvantable cri.
            Stupeur chez l’homme qui, déjà, montrait de gris
            Cheveux dont la longueur était fort appréciable :
            Ce qu’il croyait être bête bien négligeable
25        Se révélait en fait comme une faible femme.
            Le simoun se levait et troublait l’oriflamme
            Qu’était pour Zara son épaisse chevelure.
            Il se porta vite vers la sèche ramure ;
            Arrivé à hauteur, il fit se coucher sa
30        Fidèle monture qui, lestement, para
            Le déferlement de sable et de la tempête.


            Zara vivait seul, en ermite, anachorète,
            Dans une grotte sur la montagne juchée
            Dont il ne descendait, comme en cette journée,
35        Que pour rendre visite à ses amis nomades
            Une fois par saison. Ses yeux couleur de jade
            Se posèrent sur la nuque de la chétive
            Personne qui souffrait d’une soif maladive ;
            Elle se jeta sur la gourde qu’il tendait.
40        De sa blessure, le sang rouge et chaud coulait.
            L’astre de lumière, la source de la vie,
            Frappait si fort qu’elle tomba, évanouie…
            On peut dire que la Providence a fait là
            Un nouveau miracle, se dit-il assez bas.
45        Il n’y avait une chance sur des millions
            Que pour survivre ainsi sans eau ni provisions.
            Il la prit en croupe et l’amena dans son antre.


            La fraîcheur la fit se réveiller sur le ventre,
            Couchée à même le sol. Un mince filet
50        S’écoulait entre les roches et serpentait
            Harmonieusement jusqu’en dehors de la
            Caverne. Les parois brillaient de tout l’éclat
            De trois flambeaux, fils du larcin de Prométhée.
            Hérodias rassemblait posément ses idées ;
55        Les mirages issus du brouillard mnémonique
            Laissaient peu à peu place aux icônes statiques.
            Elle revivait à présent le nébuleux
            Pillage du princier convoi présomptueux.
            Ils avaient quitté la fière Sion depuis
60        Six mois et cheminaient le jour, dormant la nuit,
            Avec, à leur tête, le prince de Pérée.
            But de l’expédition ? Quête de la Cité
            Perdue, en ruines, de la reine de Saba,
            Qui rendit visite à Salomon, le Grand Roi,
65        Troisième des Hébreux, Sage d’entre les Sages,
            Voici déjà mille ans, après un long voyage.
            Par une matinée estivale elle entra
            Dans la Jérusalem endormie et porta
            Au fils de David cent coffres de bois précieux
70        Tout emplis des ors et de présents somptueux.
            Depuis ce fameux jour, nombre d’explorateurs
            S’aventurèrent dans le désert corrupteur
            D’âmes sans trouver la trace de cette ville
            Légendaire, arabique et vierge nubile
75        Semblant avoir été engloutie des syrtes.
            Leur guide connaissait la place de tout myrte,
            De toute oasis dans ces arides domaines.
            Sans nul pouvoir depuis la conquête romaine,
            Réduits en un rôle de vulgaires pantins
80        Par l’arrivée des procurateurs romains,
            Les rois des Judéens n’avaient plus que la chasse,
            Le jeu d’échecs pour se distraire en leurs palaces.
            Hérode, tétrarque de Galilée, fut,
            Malgré qu’il fût de ses privilèges déchu,
85        Immédiatement très enthousiasmé
            Lorsque le questeur de Rome le fit chercher
            Pour lui faire part de l’intérêt que César
            Portait à la cité de Balkis, avatar
            Mythologique de la reine des Lagides.
90        Celui-ci désirait financer sous l’égide
            De l’éternelle ville une vaste entreprise
            Archéologique en ces terres non conquises
            Et mettre enfin à jour la fleur des sables dont
            On disait que tous les murs, toutes les cloisons
95        Étaient revêtus d’une épaisseur aurifère.
            Il nommait Antipas chef de mission prospère,
            Lui adjoignant comme cicérone Sufi,
            Le Sémite, dont il a déjà été dit
            L’intelligence des stériles étendues.


100      Hérodiade restait calmement étendue,
            Repue du frugal repas laissé là par
            Son sauveur. Ce fut pour elle bien doux nectar,
            Elle qui n’avait plus rien avalé depuis
            Le terrible assaut des pirates de la nuit.
105      Ces démons surgirent sans nulle sommation
            Et, dès la première charge, abomination,
            Laissèrent sans aucune étincelle de vie
            Plus de la moitié des corps. Les âmes bleuies
            Les abandonnaient et voletaient en l’Éther
110      Quelques instants avant que de quitter la Terre.
            Les assaillants étaient aussi superstitieux
            Que féroces, si bien qu’ils laissèrent, honteux,
            La vie sauve à la seule femme de cette
            Caravane opulente : Hérodiade, sujette,
115      Soumise à Hérode, son oncle, son amant…
            Elle fut laissée au désert, consciemment,
            Après avoir vécu l’exécution du roi.
            Celui-ci fut un des derniers qui succomba…
            Il eut pour salaire de son courage fol,
120      De sa résistance, la martyre auréole,
            La décapitation d’un coup de cimeterre.
            Cette vision la fit revenir en arrière
            De onze années… Il y avait en ces temps
            De petites sectes un laid foisonnement
125      Qui trouvait large écho en la jeunesse juive
            Lassée de Torah, la Loi éducative,
            Messagère de tous les préceptes moraux,
            Avide d’étancher ses besoins d’idéaux…
            Parmi celles-ci, il en était une qui
130      Rencontrait un ample succès. Sa prophétie ?
            Dieu, qui n’était plus le Jaloux, mais tout Amour,
            Allait dépêcher son Fils, partageant un jour
            Des humains toutes les misères en ce Monde.
            Ceux qui croiraient en Lui et qui seraient en l’onde
135      Sacrée du Jourdain baptisés seraient pour
            Lors sauvés au dernier jugement et, ce jour
            Béni, entreraient en l’existence éternelle.
            Ce Messie, prédit d’Ésaïe immortel,
            Était annoncé par Jean-Baptiste, sectaire,
140      Fils d’Élisabeth et Zacharie, son père.
            Jean-Baptiste, abonné aux retraites mystiques
            Depuis son enfance prime, était extatique
            Et sujet aux visions, comme son géniteur,
            Prêtre juif et gardien du Temple protecteur
145      Par Hérode le Grand (le premier…) reconstruit
            Pareillement à ce que l’ange avait instruit
            Salomon… C’était lui qui présidait baptêmes
            Des nouveaux adeptes, subissant l’anathème
            Des prélats officiels qui l’accusaient de n’être
150      Pas même circoncis. On peut bien, dit-il, naître
            Et être marqué dans la chair par l’Alliance
            De la volonté de ses parents dans l’enfance
            En étant tout à fait de cœur incirconcis.
            Hérodias ne rêvait que de le voir occis…
155      Le défenseur de la Foi elle se voulait,
            Arguant que le culte de Yahvé ne pouvait
            Cette idolâtrie digne du Veau en or
            Tolérer, corrompant l’Esprit déjà très tors
            Du peuple de Jacob, ses douze descendants…
160      Hérodiade faisait part de ses sentiments
            Et tentait d’influer sur le comportement
            Exécutif de son second mari ayant
            Trait aux affaires de religion illicites.
            Mais Hérode semblait ne guère à ces tacites
165      Imprécations porter véritable attention.
            Il se considérait en fait sans dévotion
            Particulière et ne trouvait rien d’autre à dire
            À son épouse que de bien vagues soupirs.
            Il la priait de ne point se préoccuper
170      De ces peccadilles d’une vulgarité
            Rare, attendu que la seule loi en vigueur
            Était celle de ce fameux législateur
            De la Paix Romaine qui laissait aux soumises
            Terres et conquêtes la liberté exquise
175      En matière de religiosités,
            Tant qu’elles ne nuisaient pas à l’autorité
            De l’Empire. Cela valait donc autant pour
            Le rite ancestral de Yahvé Dieu que pour
            Les alternatives sectes, ces nouveautés
180      Qui faisaient renaître la céleste Astarté,
            Qui affirmaient que les divinités n’étaient
            Autre chose que des Êtres, comme attestaient
            Les révélations du déporté Ézéchiel,
            Tout droit descendus de la Voûte du Ciel,
185      Montés sur leurs chariots aux deux roues de Feu.
            « Les sectes d’aujourd’hui forment les religieux
            De demain », proclamait Hérode lorsque sa
            Moitié se montrait trop insistante quant à
            Une éventuelle condamnation de Jean,
190      Qu’elle prenait à tort comme le mécréant
            Gourou des baptisés déjà susmentionnés.
            En effet, personne Jésus de Galilée
            Ne connaissait alors, lui, de ce mouvement
            Le vrai instigateur. Cousin germain, parent
195      De la Voix criant dans le désert, présenté
            Comme l’Agneau de Dieu qui sauve le péché
            Du monde, il sera sur la croix couronné roi
            Des Juifs deux ans plus tard… Le lecteur sait déjà
            Cela évidemment depuis bien longue date ;
200      Dès lors, ne nous perdons pas en de maladroites
            Descriptions et tâchons de rendre au mieux les
            Passages, nous qui ne nous voulons pas valet
            De Clio, relevant de l’Histoire Mondiale
            Et Universelle dans cette si mentale
205      Épopée en l’Esprit de la douce Hérodiade.
            Le fondateur de la digne Tibériade
            N’était donc pas prêt à prendre moindre sanction,
            Comme on l’a déjà dit en cette narration,
            Envers Jean-Baptiste, tandis que la princesse
210      Requérait sa tête d’une façon maîtresse.
            Elle finit quand même par le faire ployer
            En se servant d’une fourberie effrontée,
            En collusion avec Salomé, aux dépens
            Du roi, beau-père de celle-ci (elle étant
215      Le fruit des entrailles de l’Hérode Philippe,
            Premier incestueux d’Hérodias dont Œdipe,
            S’il eût été juge des mœurs à cette époque,
            Eut rendu sentence sans aucune équivoque,
            Lui qui s’infligea le plus âpre des stigmates
220      Pour prix de ses crimes, la prescrite sonate
            Des Moires qui tressent le Destin de chacun,
            Long fleuve tranquille pour certains, plein d’embruns
            Pour d’autres, mais dont tous doivent s’accommoder
            Sous peine de se voir par la vie traînés…)
225      Incitée par sa mère, l’adolescente,
            Pour le salaire de sa danse véhémente,
            Réclama la tête du prophète nouveau.
            Hérode, qui avait promis, dans un étau
            Se trouva pris et ne put que se résigner.
230      Deux jours plus tard, Jean fut promptement capturé
            Et exécuté… Le cadeau, à Salomé
            Sur un plateau d’argent ciselé présenté,
            Emporta la mère dans des transports de grand
            Contentement. Elle regrettait maintenant
235      Le rôle qu’elle avait joué en cette affaire.
            Les remords avaient fait quelque temps un Enfer
            De sa triste existence… Il résonnait en sa
            Conscience paroles qui la glaçaient d’effroi :
            « Jamais personne ne doit désirer la mort »,
240      Propos d’un exégète au fin langage d’or…
            Le retour de Zara la tira de ses songes.


ZARA

            À trop approcher la mort, l’angoisse vous ronge…
            Je vois en vos yeux que la peur s’est emparée
            De votre être le plus profond, et vous devez
245      Certes penser qu’il eût mieux valu cette mort,
            La Libération, que l’approche du retors
            Néant, qui vous conduit aux frontières du Moi
            Et élève votre conscience au-delà
            Même de ce que vous ayez imaginé
250      Jamais en vos rêves les plus fous, insensés…

HÉRODIADE

            Je présume que je dois voir en vous, mon brave,
            Le sauveur qui m’a du désert et ses entraves
            Préservée… Sachez que bien dignement votre
            Héroïsme sera récompensé, que notre
255      Largesse sera au niveau de la noblesse
            De votre désormais diligente. Richesse
            Et grand renom vous sont dorénavant acquis…

ZARA

            Voyez donc autour de vous mon cadre de vie
            Et comprenez que je ne m’embarrasse point
260      De la fortune et des honneurs cananéens.
            Dans la solitude et la contrition ici
            J’ai choisi de vivre pour quitter perfidie
            De la Société, que je ne regagnerai
            Que lorsque l’Être humain aura su élever
265      Sa Nature profonde au niveau de l’Essence
            Universelle, ce qui, à ma connaissance,
            Je dois l’avouer, n’est pas encor pour demain.

HÉRODIADE

            Comment diable savez-vous que j’appartiens
            Au saint peuple hébreu et de quelle manière
270      Avez-vous donc appris la langue de nos pères ?

ZARA

            J’ai tout bonnement sur votre chevalière
            Remarqué le Sceau de Salomon, séculaire
            Symbole de la race hébraïque, appelé
            Aussi étoile de David. Pour le parler,
275      Apprenez simplement que j’ai vécu quarante
            Printemps en la cité de Bethléem, vivante
            Et radieuse au cœur de l’élue Palestine.

HÉRODIADE

            Votre existence est donc uniquement divine
            Contemplation depuis le jour où vous sortîtes
280      De la communauté des Hommes qui nous gâtent
            Jusques à notre âme par leur stupidité ?
            C’est là jugement sans aucune aménité…

ZARA

            Peut-être, mais c’est non moins la réalité
            Pour tout qui observe par la fatalité
285      Un Monde où règnent en maître l’hypocrisie
            Et la duplicité… C’est la mélancolie
            Qui semble s’installer dans les cœurs les plus purs
            Qui m’a fait fuir au loin pour vivre à l’aventure
            Sur les sentiers même tracés par notre Dieu
290      Lors de la sortie d’Égypte des Hébreux…
            Mais, rien qu’à voir de vos effets l’opulence,
            Je pense que vous ne devez en l’indigence
            Avoir eu guère l’heur de vous mortifier !

HÉRODIADE

            Certes, j’admets être d’une favorisée
295      Caste, et même de la plus privilégiée
            D’entre elles… Telle qu’en effet vous me voyez,
            Je suis Hérodiade, reine de tous les Juifs,
            Au bon gré de Yahvé, le Dieu constitutif
            De la législation unique, décalogue
300      Dicté à Moïse, futur idéologue
            De toute la Foi du Monde des véritables
            Gens, au faîte du mont Sinaï vénérable…

ZARA

            Ainsi donc vous voilà tout à moi présentée…
            Je vais moi aussi à votre curiosité
305      Satisfaire… Je suis Zara-le-solitaire.
            Je vis ici avec pour seule utilitaire
            Compagnie un faucon fort bien apprivoisé
            Et mon non moins loyal et dévoué coursier.

HÉRODIADE

            Je suppose que vous utilisez l’oiseau
310      En tant que chasseur des plus petits passereaux,
            Rats et gerboises du désert qui constituent
            La base de votre journalier menu,
            La source même de votre alimentation…
            Et vous considérez assurément ces dons
315      Comme la manne dont se nourrirent durant
            Quarante ans les Fils de l’Exode, s’échappant
            De la pharaonique Égypte en espérant
            La Terre promise par le Buisson Ardent…

ZARA

            Je sens en votre voix comme un fond d’ironie.
320      Pensez-vous que je sois proche de la folie ?

HÉRODIADE

            Je n’irais pas jusque là, mais j’affirmerais
            Sans ambages qu’avec notre temps plus il n’est
            Trop en adéquation de jouer au prophète…

ZARA

            Ne vous méprenez pas… En d’autres temps, poète
325      Pâtre et philosophe je fus. Certains des vers
            De ma composition propre sont en prière
            Encore déclamés lors des oblations
            Solennelles, au cours des célébrations
            Diverses du culte en les temples consacrés.
330      J’ai aimé les Hommes ! Je les ai tant aimés
            Qu’en fin de compte suis devenu misanthrope…
            J’ai fui l’Humanité pour ce chaud biotope ;
            À moi la liberté que bien peu connaîtront !

HÉRODIADE

            Ne considérez pas mes propos comme affront…
335      Il a été écrit quelque part qu’un poète
            Qui philosopherait serait un vrai prophète.
            Cet attribut peut donc s’appliquer à vous sans
            Faire injure à votre personne pour autant.

ZARA

            Rassurez-vous ! Il y a de longues années
340      Que les assassins mots, fourbes mondanités,
            Ne m’atteignent plus et coulent sur mon ego
            Tel sur la roche à vos pieds ce petit ruisseau.
            Mais si nous parlions plutôt de votre effroi ?

HÉRODIADE

            Certes, vous avez vu juste en mon regard froid,
345      Au début de notre conversation, en y
            Décelant un éclair désirant fuir la vie…
            Je cache au plus profond de mon cœur un remords,
            Celui d’avoir d’un saint homme causé la mort...
            Je pensais faire en fait la volonté de Dieu,
350      Mais le regret perce depuis lors de ses pieux
            Ma douce âme. Peut-elle être par confession
            Sauvée ? Éclairez-moi de votre inspiration
            Divine ! Ne dit-on pas du poète qu’il
            Est le lien entre les Cieux et la Terre vile ?

ZARA

355      Je ne sais que vous dire, ô ma chère princesse…
            Je peux tout au juste vous faire la promesse
            De la quintessence tirer sur la question
            Hors de mon esprit et sa reçue instruction.
            Je pourrais affirmer que l’aveu des péchés
360      Conduit en général au pardon consacré
            Au nom de Dieu par un prêtre de Lévi
            Descendant, comme il est en la Loi bien prescrit.
            Je sais aussi par ma personnelle expérience
            Qu’une inavouée faute peut de conscience
365      Être oubliée, mais dans le subconscient
            Toujours travailler et lacérer proprement
            La raison et l’âme lors de sa résurgence…
            Il en est ainsi pour nous avec moult d’enfance
            Images ! Mais je crois savoir ce qui taraude
370      À ce point votre esprit doux des vêpres aux laudes,
            Car je présume que la nuit est votre pire
            Période : j’ai, dans mes vieux souvenirs,
            Conservé l’histoire de cet homme qui fut
            Décapité, tête de son corps dépourvue,
375      Pour seul crime d’avoir fomenté des pratiques
            Non conformes, et à la Loi, et à l’Éthique
            Du Pentateuque, et de promulguer sacrements
            Au nom, disait-il, d’un prétendu Testament
            Nouveau, d’une Nouvelle Alliance jetant
380      Aux oubliettes la vieille Arche illuminant
            De ses mille feux les Ténèbres familières…

HÉRODIADE

            Je trouve là, en ce discours, à mes prières
            Réponse, mais aussi homme bien informé
            Des choses du monde, pour un vieux retiré…
385      Dois-je en déduire que vous avez conservé
            Quelques contacts avec l’odieuse société ?

ZARA

            Cela va sans dire, et je ne saurais mentir…
            Il me prend envie parfois d’ici sortir
            Et d’aller visiter les nomades peuplades
390      Vivant en ces sèches immensités maussades,
            Pour la majorité lignées d’Ismaël.
            Plus rarement jusqu’au royaume d’Israël
            Me mène Hamilcar, mon éprouvé destrier.
            J’espère à chaque fois, mais je dois déchanter
395      Bien vite en face de l’inconscience de l’Homme.

HÉRODIADE

            Ce que vous guettez en somme, c’est le surhomme !

ZARA

            Le surhomme, c’est l’homme éveillé qui a pris
            Conscience de l’état d’être humain imparti
            À sa propre personne et qui lui permettra
400      De s’élever vers le Divin, qui le fera
            Renaître en l’Âge d’Or, quand l’homme était un Dieu…
            Il y a un million d’années… Temps glorieux…
                                                                                                                                  
HÉRODIADE

            Je crois comprendre… Mais ces êtres éveillés
            Sont bien peu nombreux : je n’en ai jamais croisé,
405      Suis-je forcée de vous avouer en toute
            Probité. Toutes ces créatures dégoûtent
            Mon moi le plus profond, et je vous rejoint là…
            Depuis que je règne, j’ai connu apostats,
            Démagogues et faux, respectables Protées
410      Des assemblées et de la moralité,
            Changeant de vêtement selon les circonstances…
            Ils se jettent sur les banquets sans tempérance,
            Comme s’il s’agissait là de leur dernier repas…
            Tels les prétendants de la femme de ce roi
415      D’Ithaque qui pendant vingt ans les refoula,
            Ils pillent les palais, la royauté, l’État…
            Songez aussi à ces misérables forbans
            Qui, de notre sommeil lâchement profitant,
            Ont l’attaque donné à notre pacifique
420      Troupe dont l’unique but était d’archaïques
            Vestiges la recherche ; ainsi périrent la
            Cinquantaine d’hommes qui constituaient la
            Compagnie et dont je suis vraisemblablement
            Seule survivante… Je conjure ardemment
425      Le Dieu Tout-Puissant de réparer l’injustice ;
            Que s’ouvre sous eux la géhenne destructrice !
            Que Jupiter-Romain lance sur eux son foudre
            Exterminateur ! Que l’Ange leurs os en poudre
            Réduise ! Ô Jéhovah, que soient marquées leurs
430      Âmes de l’éternel anathème, terreur
            Ultime des vivants !... Nombre d’imprécations
            Se perdent encore en ma gorge d’exception ;
            Mon esprit s’inonde du bas ressentiment,
            Me faisant frémir de mes propres sentiments…

ZARA

435      Prenez garde que la haine de votre cœur
            Ne s’empare, car c’est là pernicieux moteur…
            J’ai difficulté à croire qu’une tribu,
            Que même un habitant de ce désert ait pu
            Perpétrer tel méfait, telles atrocités…
440      Vous devriez chercher de ces hostilités
            Les responsables chez vos propres ennemis…
            Cela sent en effet traîtrise et perfidie !
            Ne voyez-vous pas dans le giron de la Cour
            À qui profiterait de vous voir un détour
445      Par le Royaume des Mânes faire ?

HÉRODIADE
                                                      
                                                                     Hélas !
            Pouvoir et fortune suscitent des pugnaces
            Moult convoitises, eux qui sont prêts à tout pour
            Gravir les échelons, même à joie et amour
            Sacrifier… Autant vous dire la multitude
450      De mes potentiels rivaux, leur platitude…



            Au même instant, dans le riche palais royal
            De Jérusalem, en le bureau principal,
            Dont l’ambre tapissant les murs offrait aux yeux
            Multiplicité de luisants jeux lumineux,
455      Se tenait un privé et secret entretien…

SUFI

            Vous n’avez pas eu tort d’entre les Phéniciens,
            Ce peuple réputé plutôt pour ses talents
            Commerciaux, recruter mercenaires battants !
            Si vous les aviez vu s’abattre sur la
460      Colonne, plus vifs que l’éclair, hurlant et bras
            Levant,…

SALOMÉ

                            Épargne-moi les détails, je te prie !
            Il est présentement primordial que la fille
            Héritière du trône de mes parents
            Je sois… C’est donc bien moi qui régnerai quand
465      Officielle sera leur disparition !
            Quant à toi, je t’offre de l’altière Sion
            Disparaître à jamais, avec, pour les rendus
            Services, les gages et le prix convenus…
            Veille que chacun de ces hommes soit selon
470      Ses mérites payé et puisse vers Sidon
            Ou Tyr s’en retourner en toute quiétude !
            Mais en mon esprit se soulève une inquiétude :
            Tu m’as bien rapporté comment fut mon beau-père
            De sa tête privé et de quelle manière
475      Mon abhorrée mère au pied d’un sycomore
            Fut abandonnée. Mais es-tu qu’à la mort
            Assuré elle n’ait eu la capacité
            De se soustraire ? Nulle éventualité
            N’y aurait-il que par un voyageur quelconque
480      Elle eût été servie ? On a souvent vu jonque
            Condamnée au milieu de terrible tempête
            S’échouer sur la plus insignifiante arête
            Rocheuse ou sableuse et échapper ainsi au
            Typhon violent et aux dévastateurs flots…

SUFI

485      Que Votre Grandeur se rassure sur ce point :
            Son lieu d’agonie est de tout transit humain
            Si éloigné que le plus puissant des archers
            Ne pourrait l’atteindre de vingt fois sa portée !

SALOMÉ

            Cela est possible, mais elle a pu marcher…

SUFI

490      Nous l’avons derrière nous fait déambuler
            Jusqu’à épuisement avant de la lâcher…

SALOMÉ

            Maudits soient les dieux de ces païens armés
            Qui les empêchent de lever sur une femme
            La main, superstitions qui leur font dans les flammes
495      D’autre part immoler d’innocents nouveau-nés…

SUFI

            C’est là paradoxe d’une nation peuplée
            De barbares guerriers qui ont pu par ailleurs
            Développer talents de fins navigateurs…
            Ils ont plongé durant des générations
500      Dans la poussière face aux idoles leurs fronts ;
            Ils ont subi les feux et le courroux du Dieu
            Sans égal, et pourtant sont retournés vers eux,
            Les Baal, Ishtar et Dagôn, ces infamies.
            Mais nous voilà grâce à leur combat, ma famille
505      Future et moi-même, à l’abri de la misère !

SALOMÉ

            N’oublie pas qu’on te croira six pieds sous terre…

SUFI

            C’est pourquoi j’ai choisi pour lieu d’exil doré
            L’Ionie abritant une communauté
            Juive conséquente et où, sous un nouveau nom,
510      Je pourrai m’établir en une position
            Plus qu’avantageuse.

SALOMÉ

                                                Vous m’en voyez heureuse ;
            Notre séparation ne sera douloureuse.
            Adieu donc… Que les liens secrets qui nous unissent
            Périssent à jamais en tombe rédemptrice !

[Seule]

515      Les voici maintenant disparus, les derniers
            Êtres qui pourraient me trahir ; cent sont montés
            Au Septentrion, un autre vers le Ponant
            S’est embarqué, ayant tous deniers trébuchants
            Leurs poches remplissant… Prenons l’air affecté
520      De quelqu’un qui semble tout à fait ignorer
            La disparition tragique des monarques.
            Apprenons à jouer la tristesse et ses marques,
            Car, en signe de deuil, nous aurons vêtements
            À déchirer, tête à raser (et boniments
525      Autres…) pour démontrer la sévère affliction
            D’une jeune fille en proie avec les démons
            Sépulcraux… Je ne sens poindre en moi nul regret,
            Contrairement à ce que ma mère disait
            Ressentir après la condamnation du vieux
530      Désaxé qui hantait le désert d’injurieux
            Propos et prières… Ainsi donc, pas le moindre
            Scrupule, Dieu m’en est témoin, ne viendra teindre
            Ni ma conscience, ni mon esprit… Ma puissance
            S’étendra sur les lieux qui ont bercé l’enfance ;
535      Avec l’appui romain, cela s’augmentera
            Et peut-être même pourrai-je par la foi
            Que j’inspire au peuple dévot briguer un poste
            Autrement important ! J’offrirai holocauste
            De mille bœufs blancs sans défauts pour écarter
540      Loin de ma maison la fureur du Grand Guerrier,
            Ami de Charon, le nocher des infernaux
            Mondes, connaisseur des innombrables canaux
            Les frontières de l’au-delà irriguant,
            Auprès duquel pourraient se plaindre mes parents.



545      Retournons de ce pas en l’antre de Zara
            Et retrouvons-y la reine veuve du roi
            En tête-à-tête avec son divin protecteur.

ZARA

            Il y a bien longtemps de cela, je fus pasteur,
            Comme je l’ai déjà dit à votre éminente
550      Personne ; et c’est de là, de cette vie errante,
            Que je tiens le plus gros de ma philosophie
            Et qui m’a fait voir que plus dans l’éthologie
            Qu’en psychologie s’étudiait la nature
            Humaine (malgré sa supérieure culture,
555      Effectivement, l’Homme est soumis aux réflexes
            Conditionnés, aux bas instincts comme au sexe
            Dans une proportion qu’il lui est difficile
            D’accepter.)

HÉRODIADE

                                  Je trouve en vous penchant au sénile
            Radotage, ce qui semble propre à tous ceux
560      Qui philosophes se nomment et qui, par jeu,
            Se plaisent à la vie humaine déprécier,
            Ne voyant autour d’eux bonheur à apprécier…
            Peut-être que l’Homme n’est qu’un simple pantin
            Mû de la naissance à la tombe par la main
565      Pathétique de la Société, mais cela
            Ne doit certes d’autre part nous empêcher pas
            De nous émerveiller face à ses facultés
            D’adaptation à tout milieu d’hostilité.
            Par exemple, songez à ces fertiles plaines
570      Gagnées sur désert par technique romaine
            D’irrigation pour le moins innovatrice ;
            L’Âme du Seigneur n’est aucunement actrice !
            Sans doute ne nous a-t-Il offert pour ce Monde
            Qu’un tas de fumier immense et plus qu’immonde,
575      Mais ne voit-on guère les plus belles récoltes
            Croître grâce à ce même engrais très désinvolte ?

ZARA

            Vous ne devez être sans savoir que qui dans
            La solitude vit depuis un trop long temps
            Désapprend nettement à se taire, surtout
580      S’il se laisse entraîner en les méandres fous
            De la conversation purement platonique
            Relative aux notions les plus philosophiques.
            J’admets volontiers la futilité de mes
            Pauvres digressions, et justement je mets
585      Ces dernières sur le compte d’isolement
            Trop extrême. Mais quelle attitude vraiment
            Comptez-vous adopter et combien de temps
            Désirez-vous rester en mes appartements ?

HÉRODIADE

            Je n’ose abuser de votre hospitalité,
590      Vous qui déjà avez de magnanimité
            À mon égard tant fait preuve. Je vous demande
            Sans prétention, tout en honorable amende
            Faisant à propos des narquoises reparties
            Qui auraient certes pu vexer moins réfléchi
595      Que vous, de me rendre à la civilisation.

ZARA

            Soyez sans la moindre crainte, mon intention
            N’est point de faire de vous nouvelle captive :
            Vous mènerai sur ma monture non rétive
            En cette contrée qui est de mon enfance
600      Aussi la patrie et qui n’a vu sénescence
            D’un corps qui fut jadis modèle que sculpteurs
            Aimaient à prendre pour perfection et splendeur
            De ses formes, ainsi que pour la profondeur
            Du regard de jade qui glaçait de stupeur
605      Tout qui y pénétrait ou s’y aventurait
            Ne fut-ce qu’un instant. Mais qui donc bien pourrait
            Me rendre ma belle jeunesse ?

HÉRODIADE

                                                                 La Fontaine
            De Jouvence étant un mythe aux fiers fils d’Athènes
            Réservé, je ne vois pour vous que la langueur
610      Ou la confiance en le Dieu exterminateur
            Qui offrit à Adam et Noé des jours longs
            De plus de six cents ans et prestance d’aiglon.
            Mais je suis heureuse d’entendre par ailleurs
            Que vont enfin cesser souffrances et malheurs
615      En ce désert maudit que l’on peut qualifier
            De sinistre aussi, sans pour autant vous défier,
            Vous qui depuis plusieurs décennies vivez
            En ce cadre austère ; cadre que vous devez
            Certes finalement à votre goût trouver…

ZARA

620      Je ne perdrai point mon temps à de vous prouver
            La suprématie d’une contemplative
            Existence sur la pathétique et active
            Vie que mènent à contrecoeur les esclaves
            De la Société essayer !

HÉRODIADE

                                                     Ô, mon brave !
625      Vous voilà reparti en vos spéculations
            Les plus fumantes ; que votre imagination
            Va-t-elle donc encor chercher ? Organisons
            Plutôt notre départ vers la sainte Sion…

ZARA

            J’y consens. Vous êtes sans doute dans le vrai
630      En soutenant qu’à la réalité devrais
            Me rallier ; peut-être que cette solitaire
            Vie n’est que de fuir une autre manière.



            Et c’est sur ces bonnes paroles que quittèrent
            Nos amis l’antre de Zara-le-Solitaire ;
635      Ainsi, après un long voyage sans encombre,
            Ils se retrouvèrent au pied et à l’ombre
            Des murailles de la Jérusalem céleste
            Qu’irradiait le Soleil de sa crinière leste.

ZARA

            C’est donc ici que nos chemins vont se quitter,
640      Ô princesse, aux portes même de la Cité
            Qui vous a vu grandir et ensuite régner
            Sur un peuple des plus saints, empli de piété.


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