HÉRODIADE dans le désert
On voyait dans le ciel de bien
sombres oiseaux.
Le soleil dardait ses rayons sur ces
corbeaux.
À perte de vue, des dunes, un
désert…
Ils semblaient attirés par un arbre
non vert,
5 Au pied duquel devait gésir un maladif
Animal émettant dernier souffle
plaintif
Qui constituerait pour ces noirs
charognards,
Cette ténébreuse nuée de criards,
Une inespérée source de nourriture.
10 Le nuage ondoyait, supplice de nature,
Et attendait l’heure de fondre sur
la proie.
Un cavalier suivait la scène avec
effroi
Depuis quelques instants sans, pour
autant, pouvoir
Distinguer l’objet de leur attention
notoire.
15 Le mauvais augure de cette singulière
Rencontre l’eut certes écarté de
l’altière
Plaine sauvage si un pauvre volatile
Ne se fût distingué en plongeant
vers le vil
Cadavre et, d’un coup de bec,
déchirant la joue.
20 La douleur réveilla le corps, image
floue,
Et lui fit pousser un épouvantable
cri.
Stupeur chez l’homme qui, déjà,
montrait de gris
Cheveux dont la longueur était fort
appréciable :
Ce qu’il croyait être bête bien
négligeable
25 Se révélait en fait comme une faible
femme.
Le simoun se levait et troublait
l’oriflamme
Qu’était pour Zara son épaisse
chevelure.
Il se porta vite vers la sèche
ramure ;
Arrivé à hauteur, il fit se coucher
sa
30 Fidèle monture qui, lestement, para
Le déferlement de sable et de la
tempête.
Zara vivait seul, en ermite,
anachorète,
Dans une grotte sur la montagne
juchée
Dont il ne descendait, comme en
cette journée,
35 Que pour rendre visite à ses amis
nomades
Une fois par saison. Ses yeux
couleur de jade
Se posèrent sur la nuque de la
chétive
Personne qui souffrait d’une soif
maladive ;
Elle se jeta sur la gourde qu’il tendait.
40 De sa blessure, le sang rouge et chaud
coulait.
L’astre de lumière, la source de la
vie,
Frappait si fort qu’elle tomba,
évanouie…
On peut dire que la Providence a fait là
Un nouveau miracle, se dit-il assez
bas.
45 Il n’y avait une chance sur des millions
Que pour survivre ainsi sans eau ni
provisions.
Il la prit en croupe et l’amena dans
son antre.
La fraîcheur la fit se réveiller sur
le ventre,
Couchée à même le sol. Un mince
filet
50 S’écoulait entre les roches et
serpentait
Harmonieusement jusqu’en dehors de
la
Caverne. Les parois brillaient de
tout l’éclat
De trois flambeaux, fils du larcin
de Prométhée.
Hérodias rassemblait posément ses
idées ;
55 Les mirages issus du brouillard
mnémonique
Laissaient peu à peu place aux icônes
statiques.
Elle revivait à présent le nébuleux
Pillage du princier convoi
présomptueux.
Ils avaient quitté la fière Sion
depuis
60 Six mois et cheminaient le jour, dormant
la nuit,
Avec, à leur tête, le prince de
Pérée.
But de l’expédition ? Quête de
la Cité
Perdue, en ruines, de la reine de
Saba,
Qui rendit visite à Salomon, le
Grand Roi,
65 Troisième des Hébreux, Sage d’entre les
Sages,
Voici déjà mille ans, après un long
voyage.
Par une matinée estivale elle entra
Dans la Jérusalem endormie et porta
Au fils de David cent coffres de
bois précieux
70 Tout emplis des ors et de présents
somptueux.
Depuis ce fameux jour, nombre
d’explorateurs
S’aventurèrent dans le désert
corrupteur
D’âmes sans trouver la trace de
cette ville
Légendaire, arabique et vierge
nubile
75 Semblant avoir été engloutie des syrtes.
Leur guide connaissait la place de
tout myrte,
De toute oasis dans ces arides
domaines.
Sans nul pouvoir depuis la conquête
romaine,
Réduits en un rôle de vulgaires
pantins
80 Par l’arrivée des procurateurs romains,
Les rois des Judéens n’avaient plus
que la chasse,
Le jeu d’échecs pour se distraire en
leurs palaces.
Hérode, tétrarque de Galilée, fut,
Malgré qu’il fût de ses privilèges
déchu,
85 Immédiatement très enthousiasmé
Lorsque le questeur de Rome le fit
chercher
Pour lui faire part de l’intérêt que
César
Portait à la cité de Balkis, avatar
Mythologique de la reine des
Lagides.
90 Celui-ci désirait financer sous l’égide
De l’éternelle ville une vaste
entreprise
Archéologique en ces terres non
conquises
Et mettre enfin à jour la fleur des
sables dont
On disait que tous les murs, toutes
les cloisons
95 Étaient revêtus d’une épaisseur
aurifère.
Il nommait Antipas chef de mission
prospère,
Lui adjoignant comme cicérone Sufi,
Le Sémite, dont il a déjà été dit
L’intelligence des stériles
étendues.
100 Hérodiade restait calmement étendue,
Repue du frugal repas laissé là par
Son sauveur. Ce fut pour elle bien
doux nectar,
Elle qui n’avait plus rien avalé
depuis
Le terrible assaut des pirates de la
nuit.
105 Ces démons surgirent sans nulle sommation
Et, dès la première charge,
abomination,
Laissèrent sans aucune étincelle de
vie
Plus de la moitié des corps. Les
âmes bleuies
Les abandonnaient et voletaient en
l’Éther
110 Quelques instants avant que de quitter la Terre.
Les assaillants étaient aussi
superstitieux
Que féroces, si bien qu’ils
laissèrent, honteux,
La vie sauve à la seule femme de
cette
Caravane opulente : Hérodiade,
sujette,
115 Soumise à Hérode, son oncle, son amant…
Elle fut laissée au désert, consciemment,
Après avoir vécu l’exécution du roi.
Celui-ci fut un des derniers qui
succomba…
Il eut pour salaire de son courage
fol,
120 De sa résistance, la martyre auréole,
La décapitation d’un coup de cimeterre.
Cette vision la fit revenir en
arrière
De onze années… Il y avait en ces
temps
De petites sectes un laid
foisonnement
125 Qui trouvait large écho en la jeunesse
juive
Lassée de Torah, la Loi éducative,
Messagère de tous les préceptes
moraux,
Avide d’étancher ses besoins
d’idéaux…
Parmi celles-ci, il en était une qui
130 Rencontrait un ample succès. Sa
prophétie ?
Dieu, qui n’était plus le Jaloux,
mais tout Amour,
Allait dépêcher son Fils, partageant
un jour
Des humains toutes les misères en ce
Monde.
Ceux qui croiraient en Lui et qui
seraient en l’onde
135 Sacrée du Jourdain baptisés seraient pour
Lors sauvés au dernier jugement et,
ce jour
Béni, entreraient en l’existence
éternelle.
Ce Messie, prédit d’Ésaïe immortel,
Était annoncé par Jean-Baptiste,
sectaire,
140 Fils d’Élisabeth et Zacharie, son père.
Jean-Baptiste, abonné aux retraites
mystiques
Depuis son enfance prime, était
extatique
Et sujet aux visions, comme son
géniteur,
Prêtre juif et gardien du Temple
protecteur
145 Par Hérode le Grand (le premier…)
reconstruit
Pareillement à ce que l’ange avait
instruit
Salomon… C’était lui qui présidait
baptêmes
Des nouveaux adeptes, subissant
l’anathème
Des prélats officiels qui
l’accusaient de n’être
150 Pas même circoncis. On peut bien, dit-il,
naître
Et être marqué dans la chair par
l’Alliance
De la volonté de ses parents dans
l’enfance
En étant tout à fait de cœur
incirconcis.
Hérodias ne rêvait que de le voir
occis…
155 Le défenseur de la Foi elle se voulait,
Arguant que le culte de Yahvé ne
pouvait
Cette idolâtrie digne du Veau en or
Tolérer, corrompant l’Esprit déjà
très tors
Du peuple de Jacob, ses douze
descendants…
160 Hérodiade faisait part de ses sentiments
Et tentait d’influer sur le
comportement
Exécutif de son second mari ayant
Trait aux affaires de religion
illicites.
Mais Hérode semblait ne guère à ces
tacites
165 Imprécations porter véritable attention.
Il se considérait en fait sans
dévotion
Particulière et ne trouvait rien
d’autre à dire
À son épouse que de bien vagues
soupirs.
Il la priait de ne point se
préoccuper
170 De ces peccadilles d’une vulgarité
Rare, attendu que la seule loi en
vigueur
Était celle de ce fameux législateur
De la Paix Romaine qui
laissait aux soumises
Terres et conquêtes la liberté
exquise
175 En matière de religiosités,
Tant qu’elles ne nuisaient pas à
l’autorité
De l’Empire. Cela valait donc autant
pour
Le rite ancestral de Yahvé Dieu que
pour
Les alternatives sectes, ces
nouveautés
180 Qui faisaient renaître la céleste Astarté,
Qui affirmaient que les divinités
n’étaient
Autre chose que des Êtres, comme
attestaient
Les révélations du déporté Ézéchiel,
Tout droit descendus de la Voûte du Ciel,
185 Montés sur leurs chariots aux deux roues
de Feu.
« Les sectes d’aujourd’hui
forment les religieux
De demain », proclamait Hérode
lorsque sa
Moitié se montrait trop insistante
quant à
Une éventuelle condamnation de Jean,
190 Qu’elle prenait à tort comme le mécréant
Gourou des baptisés déjà
susmentionnés.
En effet, personne Jésus de Galilée
Ne connaissait alors, lui, de ce
mouvement
Le vrai instigateur. Cousin germain,
parent
195 De la Voix criant dans le désert, présenté
Comme l’Agneau de Dieu qui sauve le
péché
Du monde, il sera sur la croix
couronné roi
Des Juifs deux ans plus tard… Le
lecteur sait déjà
Cela évidemment depuis bien longue
date ;
200 Dès lors, ne nous perdons pas en de
maladroites
Descriptions et tâchons de rendre au
mieux les
Passages, nous qui ne nous voulons
pas valet
De Clio, relevant de l’Histoire
Mondiale
Et Universelle dans cette si mentale
205 Épopée en l’Esprit de la douce Hérodiade.
Le fondateur de la digne Tibériade
N’était donc pas prêt à prendre
moindre sanction,
Comme on l’a déjà dit en cette
narration,
Envers Jean-Baptiste, tandis que la
princesse
210 Requérait sa tête d’une façon maîtresse.
Elle finit quand même par le faire
ployer
En se servant d’une fourberie
effrontée,
En collusion avec Salomé, aux dépens
Du roi, beau-père de celle-ci (elle
étant
215 Le fruit des entrailles de l’Hérode
Philippe,
Premier incestueux d’Hérodias dont
Œdipe,
S’il eût été juge des mœurs à cette
époque,
Eut rendu sentence sans aucune
équivoque,
Lui qui s’infligea le plus âpre des
stigmates
220 Pour prix de ses crimes, la prescrite
sonate
Des Moires qui tressent le Destin de
chacun,
Long fleuve tranquille pour
certains, plein d’embruns
Pour d’autres, mais dont tous
doivent s’accommoder
Sous peine de se voir par la vie
traînés…)
225 Incitée par sa mère, l’adolescente,
Pour le salaire de sa danse
véhémente,
Réclama la tête du prophète nouveau.
Hérode, qui avait promis, dans un
étau
Se trouva pris et ne put que se
résigner.
230 Deux jours plus tard, Jean fut promptement
capturé
Et exécuté… Le cadeau, à Salomé
Sur un plateau d’argent ciselé
présenté,
Emporta la mère dans des transports
de grand
Contentement. Elle regrettait
maintenant
235 Le rôle qu’elle avait joué en cette
affaire.
Les remords avaient fait quelque
temps un Enfer
De sa triste existence… Il résonnait
en sa
Conscience paroles qui la glaçaient
d’effroi :
« Jamais personne ne doit
désirer la mort »,
240 Propos d’un exégète au fin langage d’or…
Le retour de Zara la tira de ses
songes.
ZARA
À trop approcher la mort, l’angoisse
vous ronge…
Je vois en vos yeux que la peur
s’est emparée
De votre être le plus profond, et
vous devez
245 Certes penser qu’il eût mieux valu cette
mort,
La Libération, que
l’approche du retors
Néant, qui vous conduit aux
frontières du Moi
Et élève votre conscience au-delà
Même de ce que vous ayez imaginé
250 Jamais en vos rêves les plus fous,
insensés…
HÉRODIADE
Je présume que je dois voir en vous,
mon brave,
Le sauveur qui m’a du désert et ses
entraves
Préservée… Sachez que bien dignement
votre
Héroïsme sera récompensé, que notre
255 Largesse sera au niveau de la noblesse
De votre désormais diligente.
Richesse
Et grand renom vous sont dorénavant
acquis…
ZARA
Voyez donc autour de vous mon cadre
de vie
Et comprenez que je ne m’embarrasse
point
260 De la fortune et des honneurs cananéens.
Dans la solitude et la contrition
ici
J’ai choisi de vivre pour quitter
perfidie
De la Société, que je ne
regagnerai
Que lorsque l’Être humain aura su
élever
265 Sa Nature profonde au niveau de l’Essence
Universelle, ce qui, à ma
connaissance,
Je dois l’avouer, n’est pas encor
pour demain.
HÉRODIADE
Comment diable savez-vous que
j’appartiens
Au saint peuple hébreu et de quelle
manière
270 Avez-vous donc appris la langue de nos
pères ?
ZARA
J’ai tout bonnement sur votre
chevalière
Remarqué le Sceau de Salomon,
séculaire
Symbole de la race hébraïque, appelé
Aussi étoile de David. Pour le
parler,
275 Apprenez simplement que j’ai vécu quarante
Printemps en la cité de Bethléem,
vivante
Et radieuse au cœur de l’élue
Palestine.
HÉRODIADE
Votre existence est donc uniquement
divine
Contemplation depuis le jour où vous
sortîtes
280 De
la communauté des Hommes qui nous gâtent
Jusques
à notre âme par leur stupidité ?
C’est
là jugement sans aucune aménité…
ZARA
Peut-être,
mais c’est non moins la réalité
Pour
tout qui observe par la fatalité
285 Un
Monde où règnent en maître l’hypocrisie
Et
la duplicité… C’est la mélancolie
Qui
semble s’installer dans les cœurs les plus purs
Qui
m’a fait fuir au loin pour vivre à l’aventure
Sur
les sentiers même tracés par notre Dieu
290 Lors
de la sortie d’Égypte des Hébreux…
Mais,
rien qu’à voir de vos effets l’opulence,
Je
pense que vous ne devez en l’indigence
Avoir
eu guère l’heur de vous mortifier !
HÉRODIADE
Certes,
j’admets être d’une favorisée
295 Caste,
et même de la plus privilégiée
D’entre
elles… Telle qu’en effet vous me voyez,
Je
suis Hérodiade, reine de tous les Juifs,
Au
bon gré de Yahvé, le Dieu constitutif
De
la législation unique, décalogue
300 Dicté
à Moïse, futur idéologue
De
toute la Foi du
Monde des véritables
Gens,
au faîte du mont Sinaï vénérable…
ZARA
Ainsi
donc vous voilà tout à moi présentée…
Je
vais moi aussi à votre curiosité
305 Satisfaire…
Je suis Zara-le-solitaire.
Je
vis ici avec pour seule utilitaire
Compagnie
un faucon fort bien apprivoisé
Et
mon non moins loyal et dévoué coursier.
HÉRODIADE
Je
suppose que vous utilisez l’oiseau
310 En
tant que chasseur des plus petits passereaux,
Rats
et gerboises du désert qui constituent
La
base de votre journalier menu,
La
source même de votre alimentation…
Et
vous considérez assurément ces dons
315 Comme
la manne dont se nourrirent durant
Quarante
ans les Fils de l’Exode, s’échappant
De
la pharaonique Égypte en espérant
La Terre promise par le Buisson
Ardent…
ZARA
Je
sens en votre voix comme un fond d’ironie.
320 Pensez-vous
que je sois proche de la folie ?
HÉRODIADE
Je
n’irais pas jusque là, mais j’affirmerais
Sans
ambages qu’avec notre temps plus il n’est
Trop
en adéquation de jouer au prophète…
ZARA
Ne
vous méprenez pas… En d’autres temps, poète
325 Pâtre
et philosophe je fus. Certains des vers
De
ma composition propre sont en prière
Encore
déclamés lors des oblations
Solennelles,
au cours des célébrations
Diverses
du culte en les temples consacrés.
330 J’ai
aimé les Hommes ! Je les ai tant aimés
Qu’en
fin de compte suis devenu misanthrope…
J’ai
fui l’Humanité pour ce chaud biotope ;
À
moi la liberté que bien peu connaîtront !
HÉRODIADE
Ne
considérez pas mes propos comme affront…
335 Il
a été écrit quelque part qu’un poète
Qui
philosopherait serait un vrai prophète.
Cet
attribut peut donc s’appliquer à vous sans
Faire
injure à votre personne pour autant.
ZARA
Rassurez-vous !
Il y a de longues années
340 Que
les assassins mots, fourbes mondanités,
Ne
m’atteignent plus et coulent sur mon ego
Tel
sur la roche à vos pieds ce petit ruisseau.
Mais
si nous parlions plutôt de votre effroi ?
HÉRODIADE
Certes,
vous avez vu juste en mon regard froid,
345 Au
début de notre conversation, en y
Décelant
un éclair désirant fuir la vie…
Je
cache au plus profond de mon cœur un remords,
Celui
d’avoir d’un saint homme causé la mort...
Je
pensais faire en fait la volonté de Dieu,
350 Mais
le regret perce depuis lors de ses pieux
Ma
douce âme. Peut-elle être par confession
Sauvée ?
Éclairez-moi de votre inspiration
Divine !
Ne dit-on pas du poète qu’il
Est
le lien entre les Cieux et la Terre vile ?
ZARA
355 Je
ne sais que vous dire, ô ma chère princesse…
Je
peux tout au juste vous faire la promesse
De
la quintessence tirer sur la question
Hors
de mon esprit et sa reçue instruction.
Je
pourrais affirmer que l’aveu des péchés
360 Conduit
en général au pardon consacré
Au
nom de Dieu par un prêtre de Lévi
Descendant,
comme il est en la Loi bien prescrit.
Je
sais aussi par ma personnelle expérience
Qu’une
inavouée faute peut de conscience
365 Être
oubliée, mais dans le subconscient
Toujours
travailler et lacérer proprement
La
raison et l’âme lors de sa résurgence…
Il
en est ainsi pour nous avec moult d’enfance
Images !
Mais je crois savoir ce qui taraude
370 À
ce point votre esprit doux des vêpres aux laudes,
Car
je présume que la nuit est votre pire
Période :
j’ai, dans mes vieux souvenirs,
Conservé
l’histoire de cet homme qui fut
Décapité,
tête de son corps dépourvue,
375 Pour
seul crime d’avoir fomenté des pratiques
Non
conformes, et à la Loi, et à l’Éthique
Du
Pentateuque, et de promulguer sacrements
Au
nom, disait-il, d’un prétendu Testament
Nouveau,
d’une Nouvelle Alliance jetant
380 Aux
oubliettes la vieille Arche illuminant
De
ses mille feux les Ténèbres familières…
HÉRODIADE
Je
trouve là, en ce discours, à mes prières
Réponse,
mais aussi homme bien informé
Des
choses du monde, pour un vieux retiré…
385 Dois-je
en déduire que vous avez conservé
Quelques
contacts avec l’odieuse société ?
ZARA
Cela
va sans dire, et je ne saurais mentir…
Il
me prend envie parfois d’ici sortir
Et
d’aller visiter les nomades peuplades
390 Vivant
en ces sèches immensités maussades,
Pour
la majorité lignées d’Ismaël.
Plus
rarement jusqu’au royaume d’Israël
Me
mène Hamilcar, mon éprouvé destrier.
J’espère
à chaque fois, mais je dois déchanter
395 Bien
vite en face de l’inconscience de l’Homme.
HÉRODIADE
Ce
que vous guettez en somme, c’est le surhomme !
ZARA
Le
surhomme, c’est l’homme éveillé qui a pris
Conscience
de l’état d’être humain imparti
À
sa propre personne et qui lui permettra
400 De
s’élever vers le Divin, qui le fera
Renaître
en l’Âge d’Or, quand l’homme était un Dieu…
Il
y a un million d’années… Temps glorieux…
HÉRODIADE
Je
crois comprendre… Mais ces êtres éveillés
Sont
bien peu nombreux : je n’en ai jamais croisé,
405 Suis-je
forcée de vous avouer en toute
Probité.
Toutes ces créatures dégoûtent
Mon
moi le plus profond, et je vous rejoint là…
Depuis
que je règne, j’ai connu apostats,
Démagogues
et faux, respectables Protées
410 Des
assemblées et de la moralité,
Changeant
de vêtement selon les circonstances…
Ils
se jettent sur les banquets sans tempérance,
Comme
s’il s’agissait là de leur dernier repas…
Tels
les prétendants de la femme de ce roi
415 D’Ithaque
qui pendant vingt ans les refoula,
Ils
pillent les palais, la royauté, l’État…
Songez
aussi à ces misérables forbans
Qui,
de notre sommeil lâchement profitant,
Ont
l’attaque donné à notre pacifique
420 Troupe
dont l’unique but était d’archaïques
Vestiges
la recherche ; ainsi périrent la
Cinquantaine
d’hommes qui constituaient la
Compagnie
et dont je suis vraisemblablement
Seule
survivante… Je conjure ardemment
425 Le
Dieu Tout-Puissant de réparer l’injustice ;
Que
s’ouvre sous eux la géhenne destructrice !
Que
Jupiter-Romain lance sur eux son foudre
Exterminateur !
Que l’Ange leurs os en poudre
Réduise !
Ô Jéhovah, que soient marquées leurs
430 Âmes
de l’éternel anathème, terreur
Ultime
des vivants !... Nombre d’imprécations
Se
perdent encore en ma gorge d’exception ;
Mon
esprit s’inonde du bas ressentiment,
Me
faisant frémir de mes propres sentiments…
ZARA
435 Prenez
garde que la haine de votre cœur
Ne
s’empare, car c’est là pernicieux moteur…
J’ai
difficulté à croire qu’une tribu,
Que
même un habitant de ce désert ait pu
Perpétrer
tel méfait, telles atrocités…
440 Vous
devriez chercher de ces hostilités
Les
responsables chez vos propres ennemis…
Cela
sent en effet traîtrise et perfidie !
Ne
voyez-vous pas dans le giron de la Cour
À
qui profiterait de vous voir un détour
445 Par
le Royaume des Mânes faire ?
HÉRODIADE
Hélas !
Pouvoir
et fortune suscitent des pugnaces
Moult
convoitises, eux qui sont prêts à tout pour
Gravir
les échelons, même à joie et amour
Sacrifier…
Autant vous dire la multitude
450 De
mes potentiels rivaux, leur platitude…
Au
même instant, dans le riche palais royal
De
Jérusalem, en le bureau principal,
Dont
l’ambre tapissant les murs offrait aux yeux
Multiplicité
de luisants jeux lumineux,
455 Se
tenait un privé et secret entretien…
SUFI
Vous
n’avez pas eu tort d’entre les Phéniciens,
Ce
peuple réputé plutôt pour ses talents
Commerciaux,
recruter mercenaires battants !
Si
vous les aviez vu s’abattre sur la
460 Colonne,
plus vifs que l’éclair, hurlant et bras
Levant,…
SALOMÉ
Épargne-moi les détails, je te
prie !
Il
est présentement primordial que la fille
Héritière
du trône de mes parents
Je
sois… C’est donc bien moi qui régnerai quand
465 Officielle
sera leur disparition !
Quant
à toi, je t’offre de l’altière Sion
Disparaître
à jamais, avec, pour les rendus
Services,
les gages et le prix convenus…
Veille
que chacun de ces hommes soit selon
470 Ses
mérites payé et puisse vers Sidon
Ou
Tyr s’en retourner en toute quiétude !
Mais
en mon esprit se soulève une inquiétude :
Tu
m’as bien rapporté comment fut mon beau-père
De
sa tête privé et de quelle manière
475 Mon
abhorrée mère au pied d’un sycomore
Fut
abandonnée. Mais es-tu qu’à la mort
Assuré
elle n’ait eu la capacité
De
se soustraire ? Nulle éventualité
N’y
aurait-il que par un voyageur quelconque
480 Elle
eût été servie ? On a souvent vu jonque
Condamnée
au milieu de terrible tempête
S’échouer
sur la plus insignifiante arête
Rocheuse
ou sableuse et échapper ainsi au
Typhon
violent et aux dévastateurs flots…
SUFI
485 Que
Votre Grandeur se rassure sur ce point :
Son
lieu d’agonie est de tout transit humain
Si
éloigné que le plus puissant des archers
Ne
pourrait l’atteindre de vingt fois sa portée !
SALOMÉ
Cela
est possible, mais elle a pu marcher…
SUFI
490 Nous
l’avons derrière nous fait déambuler
Jusqu’à
épuisement avant de la lâcher…
SALOMÉ
Maudits
soient les dieux de ces païens armés
Qui
les empêchent de lever sur une femme
La
main, superstitions qui leur font dans les flammes
495 D’autre
part immoler d’innocents nouveau-nés…
SUFI
C’est
là paradoxe d’une nation peuplée
De
barbares guerriers qui ont pu par ailleurs
Développer
talents de fins navigateurs…
Ils
ont plongé durant des générations
500 Dans
la poussière face aux idoles leurs fronts ;
Ils
ont subi les feux et le courroux du Dieu
Sans
égal, et pourtant sont retournés vers eux,
Les
Baal, Ishtar et Dagôn, ces infamies.
Mais
nous voilà grâce à leur combat, ma famille
505 Future
et moi-même, à l’abri de la misère !
SALOMÉ
N’oublie
pas qu’on te croira six pieds sous terre…
SUFI
C’est
pourquoi j’ai choisi pour lieu d’exil doré
L’Ionie
abritant une communauté
Juive
conséquente et où, sous un nouveau nom,
510 Je
pourrai m’établir en une position
Plus
qu’avantageuse.
SALOMÉ
Vous m’en
voyez heureuse ;
Notre
séparation ne sera douloureuse.
Adieu
donc… Que les liens secrets qui nous unissent
Périssent
à jamais en tombe rédemptrice !
[Seule]
515 Les
voici maintenant disparus, les derniers
Êtres
qui pourraient me trahir ; cent sont montés
Au
Septentrion, un autre vers le Ponant
S’est
embarqué, ayant tous deniers trébuchants
Leurs
poches remplissant… Prenons l’air affecté
520 De
quelqu’un qui semble tout à fait ignorer
La
disparition tragique des monarques.
Apprenons
à jouer la tristesse et ses marques,
Car,
en signe de deuil, nous aurons vêtements
À
déchirer, tête à raser (et boniments
525 Autres…)
pour démontrer la sévère affliction
D’une
jeune fille en proie avec les démons
Sépulcraux…
Je ne sens poindre en moi nul regret,
Contrairement
à ce que ma mère disait
Ressentir
après la condamnation du vieux
530 Désaxé
qui hantait le désert d’injurieux
Propos
et prières… Ainsi donc, pas le moindre
Scrupule,
Dieu m’en est témoin, ne viendra teindre
Ni
ma conscience, ni mon esprit… Ma puissance
S’étendra
sur les lieux qui ont bercé l’enfance ;
535 Avec
l’appui romain, cela s’augmentera
Et
peut-être même pourrai-je par la foi
Que
j’inspire au peuple dévot briguer un poste
Autrement
important ! J’offrirai holocauste
De
mille bœufs blancs sans défauts pour écarter
540 Loin
de ma maison la fureur du Grand Guerrier,
Ami
de Charon, le nocher des infernaux
Mondes,
connaisseur des innombrables canaux
Les
frontières de l’au-delà irriguant,
Auprès duquel pourraient se plaindre mes parents.
Auprès duquel pourraient se plaindre mes parents.
545 Retournons
de ce pas en l’antre de Zara
Et
retrouvons-y la reine veuve du roi
En
tête-à-tête avec son divin protecteur.
ZARA
Il
y a bien longtemps de cela, je fus pasteur,
Comme
je l’ai déjà dit à votre éminente
550 Personne ;
et c’est de là, de cette vie errante,
Que
je tiens le plus gros de ma philosophie
Et
qui m’a fait voir que plus dans l’éthologie
Qu’en
psychologie s’étudiait la nature
Humaine
(malgré sa supérieure culture,
555 Effectivement,
l’Homme est soumis aux réflexes
Conditionnés,
aux bas instincts comme au sexe
Dans
une proportion qu’il lui est difficile
D’accepter.)
HÉRODIADE
Je trouve en vous
penchant au sénile
Radotage,
ce qui semble propre à tous ceux
560 Qui
philosophes se nomment et qui, par jeu,
Se
plaisent à la vie humaine déprécier,
Ne
voyant autour d’eux bonheur à apprécier…
Peut-être
que l’Homme n’est qu’un simple pantin
Mû
de la naissance à la tombe par la main
565 Pathétique
de la Société,
mais cela
Ne
doit certes d’autre part nous empêcher pas
De
nous émerveiller face à ses facultés
D’adaptation
à tout milieu d’hostilité.
Par
exemple, songez à ces fertiles plaines
570 Gagnées
sur désert par technique romaine
D’irrigation
pour le moins innovatrice ;
L’Âme
du Seigneur n’est aucunement actrice !
Sans
doute ne nous a-t-Il offert pour ce Monde
Qu’un
tas de fumier immense et plus qu’immonde,
575 Mais
ne voit-on guère les plus belles récoltes
Croître
grâce à ce même engrais très désinvolte ?
ZARA
Vous
ne devez être sans savoir que qui dans
La
solitude vit depuis un trop long temps
Désapprend
nettement à se taire, surtout
580 S’il
se laisse entraîner en les méandres fous
De
la conversation purement platonique
Relative
aux notions les plus philosophiques.
J’admets
volontiers la futilité de mes
Pauvres
digressions, et justement je mets
585 Ces
dernières sur le compte d’isolement
Trop
extrême. Mais quelle attitude vraiment
Comptez-vous
adopter et combien de temps
Désirez-vous
rester en mes appartements ?
HÉRODIADE
Je
n’ose abuser de votre hospitalité,
590 Vous
qui déjà avez de magnanimité
À
mon égard tant fait preuve. Je vous demande
Sans
prétention, tout en honorable amende
Faisant
à propos des narquoises reparties
Qui
auraient certes pu vexer moins réfléchi
595 Que
vous, de me rendre à la civilisation.
ZARA
Soyez
sans la moindre crainte, mon intention
N’est
point de faire de vous nouvelle captive :
Vous
mènerai sur ma monture non rétive
En
cette contrée qui est de mon enfance
600 Aussi
la patrie et qui n’a vu sénescence
D’un
corps qui fut jadis modèle que sculpteurs
Aimaient
à prendre pour perfection et splendeur
De
ses formes, ainsi que pour la profondeur
Du
regard de jade qui glaçait de stupeur
605 Tout
qui y pénétrait ou s’y aventurait
Ne
fut-ce qu’un instant. Mais qui donc bien pourrait
Me
rendre ma belle jeunesse ?
HÉRODIADE
La Fontaine
De
Jouvence étant un mythe aux fiers fils d’Athènes
Réservé,
je ne vois pour vous que la langueur
610 Ou
la confiance en le Dieu exterminateur
Qui
offrit à Adam et Noé des jours longs
De
plus de six cents ans et prestance d’aiglon.
Mais
je suis heureuse d’entendre par ailleurs
Que
vont enfin cesser souffrances et malheurs
615 En
ce désert maudit que l’on peut qualifier
De
sinistre aussi, sans pour autant vous défier,
Vous
qui depuis plusieurs décennies vivez
En
ce cadre austère ; cadre que vous devez
Certes
finalement à votre goût trouver…
ZARA
620 Je
ne perdrai point mon temps à de vous prouver
La
suprématie d’une contemplative
Existence
sur la pathétique et active
Vie
que mènent à contrecoeur les esclaves
De
la Société
essayer !
HÉRODIADE
Ô, mon
brave !
625 Vous
voilà reparti en vos spéculations
Les
plus fumantes ; que votre imagination
Va-t-elle
donc encor chercher ? Organisons
Plutôt
notre départ vers la sainte Sion…
ZARA
J’y
consens. Vous êtes sans doute dans le vrai
630 En
soutenant qu’à la réalité devrais
Me
rallier ; peut-être que cette solitaire
Vie
n’est que de fuir une autre manière.
Et
c’est sur ces bonnes paroles que quittèrent
Nos
amis l’antre de Zara-le-Solitaire ;
635 Ainsi,
après un long voyage sans encombre,
Ils
se retrouvèrent au pied et à l’ombre
Des
murailles de la Jérusalem céleste
Qu’irradiait
le Soleil de sa crinière leste.
ZARA
C’est
donc ici que nos chemins vont se quitter,
640 Ô
princesse, aux portes même de la Cité
Qui
vous a vu grandir et ensuite régner
Sur
un peuple des plus saints, empli de piété.