Cher Auteur,
Le comité de lecture des éditions Malargui m’a
transmis il y a une quinzaine de jours votre manuscrit intitulé “Une nuit à
Tràpassi”. Je l’ai donc parcouru avec la plus grande des attentions (ne me
remerciez pas, c’est mon métier), et je dois vous dire d’emblée qu’il m’a
beaucoup plu.
J’avoue que votre nom m’était totalement inconnu
auparavant, et pour cause : après avoir pris quelques renseignements, j’ai
découvert avec la plus grande des surprises qu’il s’agissait là de votre
premier roman. Vous aviez bien publié auparavant trois recueils de poésies, ce
qui, entre nous et sans vous faire offense, est à la portée du premier venu.
J’ai trouvé dans votre prose et dans votre récit
un souffle qui vous est propre, qui, en tout cas, ne se retrouve chez aucun des
auteurs contemporains qu’il m’ait été donné de lire jusqu’à présent, et Dieu
sait s’ils sont nombreux. Vous savez mener une histoire de son début à son
terme et la rendre passionnante pour vos lecteurs, tout en décrivant de manière
pour le moins originale vos personnages et leur caractère, ainsi que les décors
dans lesquels vous les faites évoluer.
Vous l’aurez compris, je défendrai votre travail
avec cœur auprès du comité de lecture des éditions Malargui, et je suis
convaincu que les autres personnes qui l’auront parcouru abonderont dans le
même sens, ou alors je n’y connais vraiment rien en littérature.
Toutefois, je vous renvoie votre manuscrit afin
que vous puissiez y apporter les quelques modifications suivantes, afin qu’il
s’insère avec la plus grande des fluidités possibles dans notre catalogue. Les
passages soulignés en vert sont à retravailler, tandis que ceux qui le sont en
rouge sont à modifier.
Le titre tout d’abord. Peut-être l’ignorez-vous,
mais quatre-vingt-quinze pour cent des gens qui achètent des livres, et surtout
des romans (je ne parle pas ici de ceux qui les lisent, vous l’aurez compris),
les choisissent en fonction justement de leur titre ou de leur couverture (là,
rassurez-vous, c’est notre boulot). Il faut donc absolument qu’il leur parle,
qu’il les accroche dès le premier regard. Je dois bien vous avouer que j’ai eu
beaucoup de mal à localiser le petit village sicilien de Tràpassi, même avec l’aide
de Google Maps. Il serait donc judicieux que votre action se déroule dans un
lieu plus familier pour notre lectorat, en région parisienne, par exemple.
La longueur ensuite. Mille cent
quatre-vingt-treize pages, c’est trop, beaucoup trop. Un roman de plus de cinq
cents pages décourage le lecteur moderne potentiel, condamnant presque d’office
un ouvrage plus long, sans tenir aucunement compte de sa qualité, bien entendu.
Veuillez garder ceci à l’esprit, c’est important !
Parlons maintenant un peu de votre histoire
proprement dite. C’est très beau, bien sûr, et magnifiquement écrit, mais,
comment dire… le public d’aujourd’hui ne s’intéresse plus aux histoires d’amour
qui finissent bien, surtout s’il s’agit d’amours hétérosexuelles. Je vous
propose donc de remplacer les personnages de Maria et de Francesco par, disons,
Kévin et Jonathan. On pourrait imaginer, je ne sais pas moi, c’est vous
l’auteur après tout, que cela se termine dans une ambiance lourde et tragique par
la mort de Jonathan, qui aurait demandé à être euthanasié après une opération
de changement de sexe qui aurait mal tourné. Et s’il pouvait y avoir quelques
événements surnaturels, comme des enlèvements de bétail par des
extraterrestres, le tout relayé par la presse internationale, cela serait
merveilleux !
Voilà, je pense avoir abordé ici, en ces quelques
lignes, ce que nous attendons de vous et de nos autres auteurs. Je vous laisse
donc trois jours pour réaliser ces quelques changements mineurs, ce qui, au vu
de votre talent, ne devrait vous poser aucun problème. Et j’en profite, au
passage, pour vous souhaiter la bienvenue aux éditions Malargui, une maison qui
soutient ses auteurs et leurs créations !
Votre lecteur
dévoué
(Publié dans le n° 34 de "La Bafouille incontinente" - juin 2014)