Petite pause, gran caffè...
lundi 25 novembre 2013
Lettre à une herboriste
Très chère Hildegarde,
Je sais que vous m'avez demandé de ne
pas vous écrire, mais le fait de rester sans avoir de vos nouvelles depuis plus
de trois mois m'est insupportable. Je pense à vous continuellement, et même au
plus profond de mes rêves le spectre de votre si doux visage ne me laisse le
moindre repos.
Vous l'aurez compris, très chère
Hildegarde, je suis malade. Très malade même. Malade d'amour. Oui, c'est bien
cela qui me torture. Je vous aime, Hildegarde ! Étendu sur ma maigre couche, je
me languis de vous, du soir au matin, et du matin au soir. Je n'ai plus
d'énergie ni de goût pour quoi que ce soit. J'ai perdu, moi qui n'étais déjà
pas bien gros, quinze kilos, et j'ai l'impression de ressembler à ces momies
que l'on expose dans certains de nos musées.
J'ai
consulté plusieurs médecins. Ils m'ont tous prescrit des pilules colorées à
avaler avant que de m'endormir, mais mon état ne s'en est trouvé nullement
amélioré, que du contraire. Si vous saviez comme ils se mettent à sourire
lorsque je leur demande s'ils ne connaîtraient pas plutôt quelques plantes qui
pourraient m'être bénéfiques. "Nous ne sommes plus au Moyen Âge,
voyons...", disent-ils, les ignorants !
Ah,
comme je me souviens, très chère Hildegarde, de nos longues promenades en
forêt, durant lesquelles, émerveillée comme une enfant, vous me parliez tout
bas des propriétés de telle ou telle fleur, de telle ou telle racine, de tel ou
tel fruit…
Le
petit jardin d'herbes médicinales de l'abbaye que vous aviez pris grand soin à
aménager est bien sûr toujours là, mais il me semble si vide et sans
signification sans vous. Le thym, le serpolet, la sarriette, l'aigremoine
eupatoire et toutes ces plantes dont vous seule connaissiez le nom et les
vertus vous réclament, tout comme moi, depuis le triste soir où j'ai eu le
malheur de prendre vos lèvres.
Quel souvenir à la fois délicieux et
atroce. Savoir que c'est à cause de ce baiser fougueux que je vous ai perdue.
Ah, si je m'étais abstenu, j'aurais pu continuer à vivre à vos côtés, en
adoration pour vous et en vous retrouvant à chaque matin que Dieu fait, et
sentir encore votre parfum de miel et de jasmin qui me faisait penser que vous
étiez un ange...
J'ai su tout de suite à votre regard que
vous partiriez sans me dire un mot. Où êtes-vous à présent ? En Allemagne, au
Danemark, en Rhodésie ou au Botswana ? Je ne le saurai sans doute jamais, et il
est plus que probable que vous ne lirez jamais ces lignes... J'ai envoyé cette
lettre à votre mère supérieure, qui est la seule personne que je connaisse qui
puisse m'aider à vous retrouver, mais je redoute à chaque passage de l'employé
des postes de la recevoir par retour du courrier avec la mention "inconnue
à l'adresse indiquée".
Je pense que je délire à présent, j'ai
l'impression que vous êtes là, très chère Hildegarde, derrière moi, à
déchiffrer les quelques lettres que mes doigts tremblants arrivent
maladroitement à coucher sur le papier. Je me retourne, et vous êtes là, oui,
je vous vois ! Je me saisis de votre corps et vous embrasse avec transports, et
vous me rendez mes caresses en riant... Oh mon Dieu, non ! Tout s'efface, et
tout ce que croise mon regard flou est le mur immaculé de ma chambre à coucher.
Je vous en prie, très chère Hildegarde, répondez-moi...
[Dernière mise à jour : 17 août 2020 - publié dans le n° 33 de la Bafouille incontinente]
mercredi 13 novembre 2013
mercredi 6 novembre 2013
dimanche 3 novembre 2013
La Flandre n'aura pas Bruxelles
"La Flandre n'aura pas Bruxelles"
C'était le titre choc du magazine que Cornélius Farouk feuilletait dans la salle d'attente. Cornélius Farouk était nerveux, très nerveux même. Le docteur Henry l'avait convoqué, pour parler des résultats de son check-up, avait-il dit au téléphone. D'habitude, il lui envoyait un simple courrier pour lui signifier que tout allait bien. Cette fois, c'était différent, il l'avait bien senti à l'intonation de sa voix.
"La Flandre n'aura pas Bruxelles", pensait-il. Encore ce député hypocrite qui fait de son nez juste avant les élections. Cornélius Farouk se souvenait bien de lui... Il l'avait connu vingt-cinq ans auparavant, alors qu'il travaillait encore chez ArcelorMittal. C'était un petit délégué syndical sans aucune envergure qui avait du mal à aligner deux phrases sans bafouiller. Il avait défrayé la chronique après avoir balancé un cocktail Molotov dans la limousine de celui qu'il tenait pour responsable de la fermeture des usines du bassin sidérurgique liégeois. Il s'était ainsi attiré la sympathie d'une grosse partie de l'électorat d'extrême gauche et retrouvé au Parlement pour les représenter.
— Monsieur Farouk ? ... Monsieur Farouk !
— Oh, excusez-moi, je rêvassais.
— Ce n'est pas grave. Vous pouvez entrer.
— Merci madame. J'entre, j'entre... [petit clin d’œil]
— Bonjour monsieur Farouk. J'ai donc bien reçu les résultats, et...
— Et ?
— Il y a comme qui dirait... un petit souci. Rien de bien inquiétant, mais tout de même...
— Un petit souci ? C'est-à-dire ?
"La Flandre n'aura pas Bruxelles"
Cornélius Farouk ruminait. Il le revoyait en train de gerber dans les toilettes du site de Jemeppe, juste avant que de prendre la parole pour la première fois devant le Comité de direction. Il regrettait amèrement de lui avoir tiré la tête hors de la cuvette, de lui avoir dit de bien respirer et que tout allait bien se passer. Comme il aurait mieux fait de l'y lui maintenir cinq à dix minutes jusqu'à ce que mort s'ensuive !
— Monsieur Farouk ?
— C'est moi.
— Entrez, le professeur Bloomberg va vous recevoir.
— Merci.
— Bonjour monsieur Farouk.
— Bonjour professeur.
— Voilà. Nous avons analysé les résultats de la colonoscopie et de la biopsie. J'irai droit au but : il s'agit bien, comme nous le redoutions, d'une tumeur maligne.
"La Flandre n'aura pas Bruxelles"
Non mais quel abruti ! À 53 ans, il vivait toujours chez sa maman, dans une petite maison de Seraing, mais du haut de Seraing, hein... Et tout ce qu'il savait des Flamands était qu'ils parlaient le néerlandais (on avait tenté, sans réussite, de le lui apprendre à l'école, et c'est sans doute pour cela qu'il leur tenait rancœur) et que Bruges était surnommée la Venise du Nord.
— Réfléchir ? Mais vous n'y pensez pas, monsieur Farouk !
— Je suis tout de même un homme libre, et j'ai tout de même le droit de...
— Je pense que vous n'avez pas bien compris, monsieur Farouk. Vous êtes sans nul doute un homme libre, mais, que vous le vouliez ou non, vous êtes désormais et avant tout un homme malade, et mon patient, par-dessus le marché !
— Vous n'avez aucunement le droit de m'obliger à...
— Détrompez-vous ! Nous avons le pouvoir, je vous le promets, de vous obliger à subir et suivre ce traitement.
"La Flandre n'aura pas Bruxelles"
Et cette idée stupide de faire de Bruxelles un district européen indépendant... C'était lui, Cornélius Farouk, qui la lui avait soufflée à l'oreille il y a bien longtemps au café de la Gare, alors qu'ils étaient tous deux un peu saouls... L'Europe... Comme s'il y connaissait quelque chose, ce dégénéré qui partait en vacances à Torremolinos, à Salou ou dans un quelconque Club Med... Et vous allez voir que l'on va l'y envoyer à l'Europe... On est vraiment mal barrés !
Courrier adressé à Cornélius Farouk :
"Cher Monsieur,
Nous constatons que vous ne vous êtes pas présenté au rendez-vous convenu de mercredi dernier avec le professeur Bloomberg, responsable du service d'oncologie de l'hôpital de la Citadelle.
Nous vous prions de prendre contact le plus rapidement possible avec le service des rendez-vous pour en fixer un nouveau selon vos disponibilités au 04 222 23 33 45.
Veuillez recevoir, cher Monsieur, l'expression de notre sympathie profonde."
"La Flandre n'aura pas Bruxelles"
Non, c'est vrai qu'elle ne l'aura pas, tout le monde le sait, les Flamands, les Wallons, les Bruxellois, les Chinois et même les Papous, qui veulent eux-mêmes faire sécession depuis longtemps avec les Néo-Guinéens qu'ils ne peuvent plus supporter. Mais que ce débile profond puisse tirer avantage et profit d'une formulation aussi grotesque, sans avoir aucun programme réel, sidérait Cornélius Farouk. Il se disait qu'il aurait pu, lui aussi, faire une brillante carrière s'il l'avait voulu... Ah, si seulement...
[La sonnette de la porte d'entrée se fait entendre]
— Monsieur Farouk ?
— Oui, que puis-je pour vous, messieurs ?
— Nous avons un mandat d'amener délivré par le Parquet de la Ville de Liège.
— Un mandat d'amener ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut tout simplement dire que vous êtes prié de bien vouloir nous suivre.
— Mais pour quelle raison ? Je veux en savoir plus !
— Écoutez, monsieur, nous faisons juste notre boulot. Qu'est-ce qu'il est écrit ? Attendez ! Nous, juge d'instruction à nanana Monsieur Farouk tatata... Ah, voici : pour subir des analyses médicales approfondies...
— Non, vous ne m'aurez pas ! dit-il en hurlant.
— Mais enfin, monsieur...
[Il se saisit d'un marteau traînant dans le hall d'entrée, le lance à la tête des deux agents de police et fonce dans le salon. Surpris, ils esquivent et le poursuivent.]
— Calmez-vous, voyons. Nous ne sommes pas là pour...
[Il ouvre une armoire, s'empare d'une boîte à chaussures dans laquelle se trouve le Browning déchargé de son défunt père, et pointe l'arme vers les deux agents. Un coup de feu retentit. Une balle en plein cœur. Cornélius Farouk s'effondre.]
[Dernière mise à jour : 21 février 2022]
samedi 2 novembre 2013
CHARON
Le nocher infernal sans fin passe et repasse
D'une rive à l'autre sa fortune est si grande
Qu'il pourrait déléguer sa tâche la légende
Dit qu'il ne le peut car jusqu'à ce qu'il trépasse
À ce travail aurait été par un tenace
Dieu condamné tous les morts par une offrande
Symbolique devant pour aller vers la lande
De la paix s'acquitter pièces ou liasses
Tout est bon pour combler le morose Charon
Lui qui semble enchaîné au cours de l'Achéron
C'est un triste tableau qui se présente à ceux
Qui arrivent jusqu'à lui fauchés sans un rond
Car devront trouver à la sueur de leur front
L'obole salvatrice et devenir pieux
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