mercredi 23 janvier 2013

Petit Précis de Littérature moderne



[Un homme sans âge et d'apparence sérieuse arrive et s'installe face aux caméras. Il porte un complet gris anthracite relevé d'une cravate rouge du meilleur effet, de grosses lunettes à montures noires, tout en arborant une petite moustache parfaitement taillée]


— Comme nous venons de le voir, la souffrance reste, à mes yeux, et à ceux de l'histoire littéraire, le moteur créatif le plus puissant qui soit.
En effet, seuls les êtres torturés ou fous (car qui a dit que les fous ne souffraient pas ?) sont capables d'aller pisser sur la table d'un roi, de devenir pédés et de tirer sur l'objet de leur amour, ou encore de quitter leur femme pour la sœur de celle-ci.
Et, qu'on le veuille ou non, c'est cela que l'histoire littéraire retient en premier (à la seule condition, bien sûr, d'avoir laissé quelque chose de plus ou moins publiable au fond d'une poubelle ou d'un coffre) et hisse au rang de génie dans l'inconscient collectif du citoyen lambda comme de l'analyste littéraire, qui n'est comme chacun d'entre nous qu'un citoyen lambda, ne l'oublions pas, et ce bien avant les milliers d'alexandrins composés à la lueur d'une bougie, et sans même une goutte de sueur, par un bon père de famille ayant vécu il y a plus de trois cents ans, et dans lesquels le mot "clitoris" (je dis juste ce mot, rassurez-vous, pour réveiller notre ingénieur du son [rires]) n'apparaît tout au plus que deux ou trois fois, et encore dans des manuscrits fragmentaires dont nous ne sommes pas sûrs de l'origine.

Vous savez donc maintenant ce qu'il vous reste à faire, chers téléspectateurs qui pensez que passer à la postérité serait un remède au puissant feu qui vous ronge...


[Son "À bon entendeur..." se fond dans le générique final d'une émission proposée par le service public d'une nation quelconque à la suite de la projection d'un documentaire sur la vie de quelques écrivains tout aussi quelconques]


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