jeudi 9 février 2012

LES BOUFFONS (dialogue entre Monsieur le Ministre et une délégation syndicale)



Monsieur le Ministre

Mais je vous en prie, asseyez-vous donc !

Le délégué de la délégation
   
Hors de question ! Nous préférons rester debout.

Monsieur le Ministre

Comme vous voudrez... Quel bon vent vous amène donc ?

Le délégué

On vient parce qu'on veut des sous !

Monsieur le Ministre

Bien sûr, bien sûr... Mais, vous comprenez, il faudrait que vous soyez plus précis.

Le délégué

On veut des sous ! Tu comprends pas ? Et des percolateurs neufs !

Monsieur le Ministre

Des percolateurs ? Je ne vous suis pas bien...

Le délégué

Ben, tu comprends, quand on fait notre pause d'un quart d'heure à quatre heures, un avantage social considérable que la grande lutte courageuse de tous les camarades qui nous ont précédés ont conquis de haute lutte pleine de courage, on trouve que c"est super désagréable d'entendre un percolateur qui crachote, et que quand on reprend le turbin (enfin, le travail, quoi, tu comprends...) alors on n'est pas content de reprendre après cette pause conquise de haute lutte face au patronat dégueulasse qui nous exploite... Tu comprends ? Donc on veut un percolateur tout neuf dans chaque salle de repos conquise de haute lutte qu'il y a dans chaque entreprise ! Tu comprends ?

Monsieur le Ministre

Bien, bien, je prends note.
Vous parliez de sous, tout à l'heure. Pourriez-vous vous expliquer un peu mieux ? Dans quel secteur travaillez-vous ?

Le délégué

Ben, moi, j'travaille dans le secteur de Huy - Waremme. Et parfois que j'vais jusqu'à Sclessin quand y faut des commandes spéciales...

[Monsieur le Ministre ne dit rien. Un membre de la délégation s'approche de son délégué et lui susurre quelques mots à l'oreille. Le délégué donne un grand coup de poing sur le bureau de Monsieur le Ministre.]

Ah, ah, ah... Tu essaies de m'avoir avec ton langage particulier de politicard, hein ? Mais tu ne m'auras pas si facilement !
Autant que nous sommes et que tu nous vois, on travaille dans le confectionnage de roues pour les gros tracteurs qui vont dans les champs. Tu comprends donc bien quelle pression on pourrait mettre sur l'économie si jamais tu ne nous donnes pas les sous qu'on te demande !

Monsieur le Ministre

Oui, je comprends, vous voulez des sous.
Moi, je ne demande que ça, à vous donner des sous. Mais, concrètement, comment faire pour vous en donner, des sous ?

Le délégué

Bon, j'vois que tu comprends toujours pas bien ce qu'on te demande.
Alors, maintenant, soit tu nous donnes des sous et des percolateurs qui ne crachotent pas, ou on te pète la gueule, on crève les pneus de ta bagnole (on s'y connaît, en pneus, tu peux me croire), et on viole ta femme devant toi, et tes gosses, et même ton chien s'il le faut...

Monsieur le Ministre

Bon, bon, calmez-vous...
On va voir ce que l'on peut faire pour vous...

[Il tapote sur le clavier de son ordinateur, qui est éteint...]

Alors, voilà : compte tenu de l'indexation des salaires et de l'inflation, nous pouvons proposer à tous les travailleurs du secteur de la confection des pneus de tracteur une augmentation de salaire de 1,53 %, ce qui est déjà beaucoup compte tenu...

Le délégué

Non, mais ! Tu nous prends pour des chiens, ou quoi ! On veut au minimum 5 % de plus !

Monsieur le Ministre

Allons, mon brave... Soyez raisonnable... Je vais voir si je peux faire mieux...

[Il tapote à nouveau le clavier de son ordinateur, qui est toujours éteint]

Bon, voilà ce que l'État peut faire concrètement pour vous : nous vous offrons à tous une augmentation de salaire à partir du 1er janvier prochain de 3,57 %...
Nous allons aussi promulguer une loi qui permettra à toute entreprise d'acheter des percolateurs neufs tous les 24 mois, à concurrence d'un percolateur pour 250 employés...

Le délégué

Ah, ah, ah... Je vois qu'on commence à s'entendre tous les deux. C'est OK pour les sous !
Par contre, pour les percolateurs...

[Il compte sur ses doigts]

On en veut un neuf tous les 2 ans et demi, c'est compris ? Et on ne partira pas sans avoir obtenu gain de cause, c'est compris ?

Monsieur le Ministre

Et bien c'est d'accord ! 3,57 %, et un percolateur neuf tous les trente-s... [Il se reprend] tous les deux ans et demi.

Le délégué

Je suis heureux de voir que l'on a pu pouvoir s'entendre ainsi, et conclure ainsi une grande avancée sociale pour les générations futures, qui saurons voir en nous... voir en nous (heu...)... Enfin, bref, merci pour tout Monsieur le Ministre ! Je vois qu'en fin de compte, on est presque pareil, toi et moi... Je crois même que j'vais voter pour toi en juin prochain !

Monsieur le Ministre

Et bien voilà qui clôt le débat. Serrons-nous donc la main en guise de réconciliation.

[Ils se serrent la main, la délégation quitte en silence le cabinet de Monsieur le Ministre, le sourire aux lèvres]

Le délégué [Dans l'ascenseur]

Vous l'avez vu comme on l'a bien niqué, ce gros porc... Et il avait même l'air de croire qu'on va voter pour lui... Enfin, on l'aura bien  mérité, notre pain saucisse. Ça va être la fête toute la nuit avec tous les camarades. Et même que j'crois que j'va faire un discours pour exprimer la satisfaction de notre victoire face à tous ces cochons qui nous saignent jusqu'à l'os. Et p'têt que j'passera à la télé... Tiens, je pourrais même me présenter aux élections, grâce au soutien de vous tous qui êtes là et qui avez assisté à mon triomphe sur...

Monsieur le Ministre [seul, dans son cabinet, un doigt posé sur le bouton de l'interphone]

Georgette, vous pouvez faire entrer la délégation suivante...


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