vendredi 26 novembre 2010

Tableau de fin d'automne



À Mireille Wertz


Il est six heures du matin.
Elle ouvre les yeux et, distraite par le maigre souvenir des songes de la nuit, en oublie presque l'homme qui dort dans son lit.

Elle tire les tentures en bâillant.
- Tiens, il a neigé... Tant mieux, les gosses du quartier me foutront la paix pendant quelques jours ! C'est pas que je ne les aime pas, mais ils pourraient quand même trouver un autre endroit que la cour d'en bas pour taper dans leur ballon après les cours, tant est soit peu qu'ils y aillent encore...

Le percolateur crachote dans la cuisine, Arlequine se faufile et ronronne entre les mollets de Mireille, qui a maintenant complètement oublié l'homme qui dort dans son lit en se mettant à chantonner l'air entraînant que la radio lui offre... Toujours le même chant, ce chant que des millions de voix ont porté jusqu'à ce jour, où se mêlent à la fois toutes les joies et les peines de millions de vies, leurs amours heureux et malheureux, où l'on parle de Fleurs et d'Enfer, de celle qui attend et de celui qu'on attend...

Après les courses, la vaisselle et le dentiste, un ronflement sourd suivi d'un soupir trouble son attention... Ce n'est pas Arlequine, qui est sur la table du salon et semble cligner de l'œil à un être invisible connu d'elle seule... Il se réveille, pense-t-elle tout à coup...

- Bonjour mon amour, tu as bien dormi ? Sais-tu qu'il est déjà midi ? Levée depuis longtemps ?
- Pas si longtemps que ça... Une heure ou deux...
- Sympa cette musique... Ouf, chaud le café... Tu as vu qu'il avait neigé ?
- Non, je n'ai pas fait attention... Tu aimes la neige ?
- Oh, ma foi, oui... J'adore sentir son petit craquement sous mes pieds quand je marche dedans, mais, par contre, je déteste devoir la bouger de sur la voiture... Bon, c'est pas tout ça, mais il va falloir que j'y aille... Allez, je t'embrasse !

Il traverse la cuisine, le salon, ouvre la porte de l'appartement, la lumière se fait dans le couloir...

Pour une fois, elle ose :
- Georges ? (elle dit Georges comme elle aurait pu dire Jacques ou Martin)
- Oui ? (il répond oui comme s'il était Georges, Jacques ou Martin)
- Dis-moi, tu reviendras ?

Publié dans le n°38 des Chemins de Traverse

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