mardi 15 décembre 2009

Tard dans la nuit



Tard dans la nuit


Hier soir, tard dans la nuit, je suis mort.

C'est une sensation étrange, l'impression de planer au-dessus de son corps, de visualiser la chambre dans ses moindres détails, mais d'un point de vue jamais exploré. Au niveau du cerveau, c'est comme une implosion, un grand clic, et puis on se retrouve à voler de-ci de-là...

Je peux rendre visite à qui je veux, aller chatouiller les pieds de mes voisins durant leur sommeil. Personne ne me voit, moi-même, je ne me vois pas, je veux dire que je ne me vois plus comme avant, un être fait de chair et de sang. Je me déplace à la vitesse de la pensée, j'explore le monde, puis la Lune, puis l'Univers.

Un souffle me rappelle, m'aspire, et me voici dans cette église, le jour de mon enterrement. Tous sont là, les larmes aux yeux, pour me rendre un dernier hommage ; je voudrais leur crier ma présence, en oubliant presque que mes cordes vocales reposent désormais entre ces quatre planches de bois brun. Une nouvelle aspiration, et me voilà dans un grand tunnel plein de lumière, ce fameux tunnel dont ils parlent tous. Pourtant, cette lumière me paraît fade... Je tourne la tête, à gauche, à droite, et, sur les murs de cette galerie, les images de ma vie semblent incrustées, fugitives, filant comme un paysage aux fenêtres d'un train ; je crois que c'est le défilement de ces images qui crée la lueur, et c'est peut-être pour ça qu'elle me paraît si fade... Quoi qu'il en soit, le voyage me donne l'impression d'être long, mais probablement n'est-ce qu'une illusion. Enfin, tout s'arrête, et je me retrouve flottant au cœur d'une immensité brumeuse. Serait-ce cela, le Paradis ? Une porte surgit devant moi, une voix caverneuse me parle dans une langue que je ne connais pas. "Êtes-vous Dieu ?", hasardé-je timidement. Un court silence suivit d'un grand éclat de rire. Je m'avance vers la porte : les deux battants s'ouvrent. Je la franchis, et tous mes souvenirs s'effacent, et tout autour de moi devient noir.

Hier soir, tard dans la nuit, je suis mort.






Ce texte a été publié dans le numéro 49 de la revue "Krautgarten" (ISSN 1374-7762) de novembre 2006

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